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L'ART ET LA CULTURE POUR TOUS
11 janvier 2011

Abderrahmane Zenati: TOUS LES HOMMES SONT MENTEURS

TOUS LES HOMMES SONT MENTEURS

"Extrait"

 

Sur sa route vers Saïdia, en voyant les paysages négligés de la vallée des Angad défilant devant ses yeux,Aurélie se rappela de ce jour où elle avait rencontré Larbi Dakka pour la première fois à Saïdia. Aurélie contemplait des peintures exposées à même le sol lorsqu’un homme s’approcha d’elle : Grand de taille, épaules et fesses larges, comme un arrière train d’un cheval. Mains démesurées, tête carrée aux joues tavelées de taches noires, crâne épais planté de cheveux crépus. Bouche démesurée, meublée de dents larges et mal plantées. En outre, même s’il faisait chaud, il était affublé de lourds vêtements fripés. Il avait exactement l’allure d’un paysan endimanché.

Aurélie jugea qu’il n’était pas du tout beau à voir.  

C’est vrai que Larbi Dakka était âgé, mais, il avait toujours le diable au corps. On ne pouvait compter ses extravagances. À cinquante deux, il avait souvent des liaisons sentimentales furtives. La suite de cette histoire le montrera plus d’une fois. Comme un grizzli qui sort de son hibernation, il prenait alors conscience durant l’approche de l’été de tout ce monde nouveau de toutes ces adorables femmes qui, comme de belles fleurs des champs et des oiseaux migrateurs revenaient tous les ans au même endroit, avec la même détermination de séduire et d’êtres séduites

- Qu’en pensez-vous de ces peintures ? Ça vous plaît, mademoiselle ?

- Je suis ravie… De très belles oeuvres Il n’y a rien à dire…

- Merci ! Merci beaucoup, mademoiselle ! Ce sont mes peintures, dit-il en souriant.

- Ah, bon ? Je pensais qu’elles étaient faites en Espagne ou au Japon… Est-ce vous vous les vendez, vos toiles ?

- Pas souvent !…

- Elles valent cher ?

- Non, pas du tout…

- Qui sont vos clients, en général, des marocains ou des étrangers ?

- En dehors des étrangers, rares sont mes compatriotes qui achètent la peinture… A part les libéraux, les européanisés, les intellectuels francophones et certains riches qui jouent aux snobes. Le reste où ils sont pauvres et n’ont que ce qu’il faut pour joindre les deux bouts, ou ils n’ont même pas le strict nécessaire pour survivre. Ces derniers sont les plus nombreux. Mais la majorité du peuple, endoctrinés par les ignares qui interprètent faussement la religion musulmane, trouve en l’artiste peintre un mécréant et en ses œuvres des symboles sataniques. Les anges désertent le lieu où il y a une peinture, poster ou n’importe quelle photo ou image représentant un être humain ou un animal, disent les barbus, sans rougir. Ils ne tolèrent que les calligraphies des versets coraniques, les carreaux de faïence bariolés de couleurs criardes et le moulage du plâtre en dessin géométrique.

- Justement je cherche quelque chose d’originale à offrir à ma mère… Je crois que je vais me laisser tenter par une de vos peintures…

- Choisissez la toile qui vous intéresse et en s’entendra…

- Ah, bon ! Et bien c’est parfait alors !

Elle refit le tour des œuvres plusieurs fois avant de dire :

- C’est vrai, en plus, il est difficile de faire un choix. Elles sont toutes belles…

Elle hésita un moment et se décida enfin :

- Je crois que je vais prendre ce cheval bleu, dit-elle d’un air gêné. Je trouve qu’il a des couleurs magnifiques… Je sais que l’art n’a pas de prix, mais il vaut combien, votre cheval ?

- Trois cent dirhams !

- C’est tout ? Et bien je le prends !

- Merci, mademoiselle !

- C’est moi qui vous remercie… Je ne m’attendais nullement à être flashée sur une peinture et à rencontrer un artiste courtois et adorable !

- Merci, mademoiselle ! Vous êtes très gentille… Est-ce que je dois envoyer cette peinture à une adresse ou vous l’emportez-vous avec vous ?

- Je l’emporte… Il trouvera sa place, chez ma mère, à Paris…

- A Paris ? Vous habitez à Paris ? Ah Paris… La ville de mes rêves…

 - Vous connaissez ?

- Non, enfin, si peu. J’ai vu des films, des photos aussi. Il parait qu’il pleut toujours à Paris et que les maisons sont toutes grises…

- Oui, c’est un peu ça avec autre chose…

- Il y a le parfum de Paris, les rues de Paris… Et puis la Seine et les Champs-Elysées…Ça doit être chouette, Paris.

- Oui, c’est chouette, comme vous dites. Enfin, quand il fait soleil…

- Et ça ne vous manque pas, mademoiselle ?

- Si, un peu.

Larbi Dakka qui, pour avoir la carte de séjours et la nationalité française, avait cherché longtemps n’importe quelle femme, jeune ou vieille, pour en faire une épouse. Juste une épouse, sans amour. Pour arriver à ses fins, il savait se montrer charmant, voire prévenant, envers les femmes étrangères. Pour plaire, il avait l’habitude de se montrer faussement plaisant, complimenteur et flatteur plein d’humour. C’est connu, pour arriver à leur fin, certains hommes au Maroc, particulièrement les commerçants et les pseudos artistes, se montrent d’une jovialité délicieusement agréable. En véritables comédiens, ils deviennent d’authentiques caméléons qui s’adaptent aux goûts des autres. Ils cachent ainsi habilement leur vraie nature et adoptent celle qui intéresse leurs interlocuteurs. Ils deviennent des athées avec les athées, croyants avec les croyants, humains avec les humains et sensibles avec les sensible… Ainsi, pour émigrer en Europe et avoir la carte de séjours la nationalité étrangère, Larbi Dakka avait cherché longtemps n’importe quelle femme, jeune ou vieille, pour en faire une épouse. Juste une épouse, sans amour.

 

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  • Parler de mes émotions face à ce monde perturbé où chaque jour un drame se joue quelque part... D'écrire ma vie à Oujda et à Saïdia où je passe mon temps entre mes pinceaux et ma plume... Parler de ma peinture et de mon écriture teintées de mes états d'âme
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